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tion de traitement : on la lui aura refusée ». « Oh ! alors. » Et le gros du public s’écoule, satisfait. Cela a encore mieux pris que les subtiles avocasseries de Hovstad.

Eh bien ! c’est à ce moment-là que Thomas Stockman, abandonné de tous, injurié et vilipendé, fait subitement sa plus grande découverte. Dans un élan de défi suprême il groupe autour de lui tous les siens et formule devant eux cet aphorisme dont on connaît la fortune et l’effet sur tant d’esprits contemporains : « L’homme le plus fort est celui qui est le plus seul. » Formule de vraie liberté individuelle substituée à toutes les libertés politiques et sociales. Formule d’élan humain, d’ascension vers les hauteurs de l’indépendance spirituelle, vers un état de puissance et de vie pleine, intégrale, féconde. Il y a pour l’humanité un sommet à atteindre, une position à conquérir, un assaut à livrer et ceux qui le livrent ne peuvent, comme dans tout assaut, agir et lutter qu’individuellement. Ils ne peuvent se préoccuper ni des victimes qui tombent à côté d’eux, ni des impuissances sur lesquelles il leur faut piétiner pour marcher vers le but suprême, ni de ceux qui ne peuvent les suivre. Ici, se sentir fort n’est pas se toucher les coudes. C’est le combat isolé, c’est le corps à corps contre l’ennemi invisible, contre cet esprit de compromission dans lequel Brand, déjà, voyait le dernier démon à terrasser. Et l’enjeu ? L’enjeu est la vie même de l’humanité, la vie vraie et forte, digne de l’individu vrai et fort à qui Nietzsche, à ce moment même, donnait le nom de Surhomme. Ainsi parla Zarathoustra parut la