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gieux. Car c’est bien un sentiment de cette espèce qui s’empare d’Aslaksen lorsque, au moment même où se trame dans les bureaux du Messager une conspiration contre les détenteurs du pouvoir local, il aperçoit, s’acheminant vers le siège de la rédaction, le maire Stockman, incarnation du grand pouvoir lointain, invisible, que l’humble électeur a bien contribué à créer, mais qui n’en est pas moins devenu pour lui, depuis lors, l’objet d’une crainte superstitieuse. De loin, il peut le fronder, attitude qui lui convient parfois et qu’il sait d’ailleurs parfaitement inoffensive, comme Aslaksen le déclare candidement. Mais, de près, il n’ose regarder en face le dieu que l’acte liturgique du vote, accompli par lui-même, a évoqué du fond de l’urne électorale. À un degré plus ou moins élevé, cette crainte, tout le monde la partage dans la communauté. Oui, tout le monde, excepté celui même qui l’inspire et un autre que la nature a placé tout près de lui et fait naître de la même souche que lui, le docteur Thomas Stockman, frère de Pierre.

Chez le maire, il n’y a point crainte ni dévotion : il y a solidarité, il y a conscience du pouvoir, il y a aussi l’orgueil raisonné de celui qui porte la casquette d’uniforme et sait que c’est la casquette d’uniforme qui, d’emblée, en impose. Il y a aussi l’instinct de tout ce qu’il faut pour soutenir l’impression première, l’instinct des moyens, grands et petits, qu’indique la situation, la connaissance exacte des intérêts, des convoitises, des faiblesses diverses qui grouillent secrètement dans les cœurs des adminis-