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milieu du groupement moderne s’élève la suprématie du capital productif, à laquelle, dans certains organismes politiques, appartient le pouvoir. Tel paraît être le cas en Norvège. Nous voyons Pierre Stockman, le capitaliste le plus entreprenant de la ville, revêtu en même temps d’une autorité administrative et policière. Il ne semble pas la tenir du suffrage de ses concitoyens mais de l’Etat, puisqu’il se dit fonctionnaire et attache même beaucoup de prix à ce titre. C’est donc un maire nommé par l’Etat et assisté d’un conseil municipal dont les membres appartiennent à la même classe que lui et sont associés à sa fortune. Comme leur pouvoir, à eux, est d’origine élective, nous sommes là en présence d’un accord intime entre l’Etat et la société, démocratiques l’un et l’autre. Dès lors toute l’opposition des Hovstad et des Billing, actionnée par les Aslaksen, apparaît comme une compétition d’appétits et non comme une lutte de principes. Le principe, au contraire, l’ordre existant, le monde tel qu’il est, voilà à quoi les Aslaksen tiennent avec toutes les fibres de leur être intime. Ce qui se passe dans leur âme à l’apparition de l’autorité gouvernementale, représentation tangible de cet ordre de choses, ce qu’ils éprouvent au fond d’eux-mêmes à la vue d’un de ses agents, surtout s’il est revêtu de ses insignes, par exemple à la vue de Pierre Stockman coiffé de sa casquette d’uniforme, n’est pas une opération de la raison. C’est la manifestation d’un esprit atavique de soumission, d’une tendance inhérente à leur tempérament intime et congénital procédant de cet être originel, de cet inconscient jusqu’où remonte le courant des sentiments reli-