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veulent acquérir. On n’a confiance que dans ceux qui n’en ont pas besoin, dans ceux qui déjà possèdent. Ce donc qu’il faut avoir, pour jouir de la respectabilité dans de telles conditions, c’est, en premier lieu, le sac. Mais pas un sac qu’on agite et où l’on fasse sonner les écus. Pas davantage un sac au repos, mais trop gros, pouvant tirer l’œil et exciter l’envie, non plus qu’un trop petit sac qui contente celui qui le possède et lui donne l’apparence de se dérober au travail commun. Encore moins un sac dont le possesseur serre fiévreusement les cordons, ce qui excite les convoitises et tranche également sur l’uniformité générale, l’avarice étant, après tout, une originalité. Non, ce qu’il faut tout d’abord pour mériter la respectabilité civique, c’est avoir en soi ce que Maeterlinck appellerait l’esprit de la ruche, c’est être, par sa fortune modeste, son travail modeste et son humeur modeste, juste au niveau, ni au-dessus, ni au-dessous, et c’est encore, c’est surtout se dessiner une attitude qui élève l’homme ainsi fait jusqu’au type, jusqu’au symbole. Dans de telles communautés, la voix du peuple, sans être, loin de là, la voix de Dieu, sait la contrefaire en élevant celui qui s’abaisse, à condition qu’il le fasse bien visiblement. Voilà pourquoi l’imprimeur Aslaksen est président de la société des propriétaires, de la société de tempérance et de diverses autres associations qui soutiennent l’ordre moral en même temps que l’ordre économique. Mais la voix du peuple ne se contente pas d’élever ceux qui s’abaissent. Elle va jusqu’au bout du principe évangélique : elle abaisse ceux qui s’élèvent. Voilà aussi