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vahissante complaisance, se faisant par là même une réputation de rondeur et de franchise et en usant pour dissimuler, sous ces apparences de nature primitive, une perfidie plus féroce encore que celle de Hovstad, parce qu’elle lance plus crûment le mot assassin, la calomnie sèche et droite qui a prise sur l’imagination simpliste de la plèbe.

Mais Hovstad et Billing, habiles à manier l’âme de la foule, ne pourraient l’inspirer à eux seuls. Il leur manque pour cela un élément essentiel : la respectabilité. La respectabilité ne leur fait pas seulement défaut à cause de telle ou de telle autre indélicatesse qu’on pourrait, sans doute, découvrir dans leur passé. Non, ils en seraient entièrement purs que la respectabilité ne se serait pourtant pas incarnée en eux. Ils sont trop anguleux, et la respectabilité a besoin d’une surface plane, parfaitement nivelée. Elle a besoin de modestie, d’effacement ou, du moins, du geste de la modestie et de l’effacement, d’un geste bien visible, faisant remarquer distinctement ces vertus. Or, pour qu’il y ait effacement, il faut avant tout quelque chose à effacer. Nous sommes dans une démocratie et ce quelque chose ne peut être la naissance. Nous sommes dans un petit monde mercantile, et ce quelque chose ne peut être l’intelligence spéculative, denrée qui n’y est pas demandée. L’intelligence spéculatrice même, remuante de sa nature, y provoque de l’inquiétude et de la méfiance, et la respectabilité, dont la nature est de s’établir lentement, doucement, a besoin, pour cela, d’une atmosphère calme, plutôt lourde. On soupçonne ceux qui