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II

L’Ennemi du Peuple a été écrit immédiatement après les Revenants. Entre le sort de ces derniers et la donnée de l’œuvre dont nous nous occupons, les biographes ont voulu établir une relation de cause à effet. Au cri public et unanime soulevé en Norvège par le coup de scalpel d’Ibsen mettant à nu, dans Oswald Alving, les tares congénitales de la race, ils ont juxtaposé les clameurs furieuses, unanimes aussi, de la foule ameutée contre Stockman quand il vient lui démontrer que la source de sa vie est empoisonnée. Et ils en ont conclu à une sorte de riposte que l’auteur de la pièce honnie aurait voulu faire à l’aide d’une autre pièce, plus directe, plus personnelle et encore plus provocante, comme il convenait à un tempérament de lutteur.

Ce commentaire, malgré les arguments spécieux dont il est étayé, m’inspire la plus grande méfiance. L’absence de tout démenti de la part d’Ibsen lui-même ne prouve rien. Je sais quel malin plaisir il ressent à contempler, après chacune de ses pièces, les efforts d’ingéniosité déployés par les commentateurs et les résultats, parfois étranges, où même étrangement comiques, auxquels il leur arrive d’atteindre. Dissimulé derrière son œuvre, il nous voit nous évertuer, réussir ou nous fourvoyer, et, pour rien au monde, il ne troublerait, par une intervention intempestive, le charme de ce spectacle favori. Dans ce cas donc, comme dans les autres, il a obéi à sa règle