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destin a posé comme un sceau sur l’œuvre grandiose du maître, ce prodige s’accomplira-t-il un jour ? L’œuvre morte, le livre que brûle Hedda Gabier, la statue que maudit Irène, fera-t-elle place à l’œuvre vivante, à cet art de la vie, dont parle Brand, et dont l’art des artistes et des poètes n’est que l’ombre et le symbole ? Le nouvel Adam que Brand veut faire naître dans les âmes affranchies et virilisées viendra-t-il habiter les maisons à hautes tours que rêve pour lui le constructeur Solness ? Y a-t-il pour les âmes une autre force libératrice que la mort, qui affranchit Brand, Rosmer, Solness, Rubek ? Les voix insinuantes des Hilde, le ferment secret que nous apportent les Rebecca, la stimulante folie des Irène, nous poussent-ils seulement vers le néant ? Le vertige des hauteurs ne fait-il qu’un avec le vertige de l’abîme ? Ou bien faut-il croire à une ascension possible ? Et, puisque des énergies nous sollicitent vers les sommets, ces sommets ne sont-ils pas accessibles, si ne n’est pour nous du moins pour ceux qui viendront après nous ?

Dans Empereur et Galiléen, Maximos les montre à Julien comme le royaume futur de l’humanité en marche. Ibsen lui-même, dans un moment solennel, a rompu son mutisme pour faire entrevoir à ceux qu’exaltait son apparition (c’était à Stockholm, il y a quelque vingt ans) l’avènement d’un troisième règne vers lequel la race s’achemine. De temps en temps, dans son œuvre de ténèbres apparentes, un rayon soudain nous indique que la région qu’il nous fait traverser est un terrain d’épreuves mais non de désolation. Et quand, sa dernière œuvre achevée, il