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aperçus. Il est venu sournoisement nous bouleverser nos conceptions. Il est venu saper les bases mêmes de notre raison. Et comment ? En nous faisant toucher, sentir, aimer des êtres dont l’atmosphère vitale est tout autre que celle du commun, est irrespirable pour le commun, mais devient tout à coup, par la magie de l’art, si respirable pour nous que, pendant un moment, nous ne pouvons en respirer d’autre. Pour rentrer dans notre ambiance ordinaire» nous avons besoin d’un effort, que nous finissons par faire, hélas ! le livre une fois fermé ou le rideau une fois baissé. Il faut bien vivre. Or, que sont ces êtres ? Chose étrange ! ces êtres c’est encore vous et moi, mais un vous et un moi tout autres, et que nous sentons pourtant en nous, et que nous reconnaissons parfaitement. Les mobiles qui les déterminent pourraient fort bien nous déterminer nous-mêmes, si nous les laissions faire.

Entendons-nous : ces mobiles ne sont pas des entraînements de tempérament. Les entraînements de cette sorte, c’est encore de la dépendance. Notre tempérament est formé par les conditions où nous sommes nés. La nature de notre pays et le passé de notre race s’y réfléchissent et s’y résument. Et si nous nous laissons entraîner par lui, nous sommes les esclaves d’une force extérieure. Or, ce qui agit dans les personnages ibséniens dont je parle, dans ceux qui nous font sortir de notre orbite traditionnelle et conventionnelle pour nous entraîner dans une orbite nouvelle, ce qui agit en eux c’est la volonté, qui crée l’individu. C’est la volonté libre, qui n’a d’autre règle