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nous troublait, cette idée, nous commençons à le voir, représente une raison nouvelle. Nous savons que nous la comprendrons plus tard, mais nous ne pouvons encore que la sentir. Et Ibsen veut nous la faire sentir aussi fort que possible. Pour cela, il n’y a pas de plus sûr procédé que de faire apparaître la faiblesse de la raison contraire, de notre raison usuelle et commune. Nul n’y excelle comme lui. Bon nombre de ses personnages, en vivant comme tout le monde vit et en raisonnant comme tout le monde raisonne, arrivent à de tels résultats que le monde où ils s’agitent semble, — on l’a dit, — une maison de fous. Et ce qu’il y a de terrible, c’est que ces personnages ne sont autres que vous et moi, que nous tous. Ce ne sont pas, en général, des êtres d’exception ni dans le bien ni dans le mal. Ils ont les forces et les faiblesses du vulgaire et, si ces forces et ces faiblesses produisent des catastrophes qu’elles ne produisent pas souvent dans le cours ordinaire de la vie, c’est que le poète, usant de son droit, les fait agir dans des conditions exceptionnelles, bien choisies pour nous en montrer le caractère véritable. Ces catastrophes sont toujours amenées par le jeu des principes qui conduisent la société et qui nous conduisent nous-mêmes. Ibsen ne combat pas ces principes par le raisonnement. Il les expose, il leur donne même une base aussi logique qu’il peut, et puis il les laisse agir. Que voyons-nous ? Les conséquences les plus monstrueuses. Oh ! pas toujours au point de vue de ceux qui représentent ces principes. Mais à celui où le poète a su nous placer, nous, spectateurs ou lecteurs, sans que nous nous en soyons