Page:Ibsen - Un ennemi du peuple, trad. Prozor, 1905.djvu/17

Cette page n’a pas encore été corrigée

dans une poitrine norvégienne. En me tendant cette biographie, Ibsen me dit : « Ne vous attachez pas trop aux appréciations, — il y aurait à gloser là-dessus, — mais je vous recommande beaucoup ce qui se rapporte à mon ascendance. Vous trouverez de tout là dedans : du sang" danois, écossais, allemand, norvégien, et peut-être cela vous expliquera-t-il bien des choses. » En disant cela, il s’animait et souriait du sourire acéré d’un analyste qu’amuse le résultat de ses pénétrantes recherches. Aimant sonder les êtres particuliers tout comme l’être collectif, la société, il lui plaît, à un moment donné, de jeter la sonde dans sa propre nature. Aimant remonter, par l’analyse, jusqu’aux raisons cachées des phénomènes psychologiques et sociaux, il éprouve de temps à autre une jouissance spéciale à décomposer son propre esprit et son propre tempérament en leurs éléments premiers. Mais il ne s’arrête pas là. De ces éléments, il lui conviendrait de former une substance douée de vertus particulières dont son génie pût tirer parti. Car son génie c’est l’inanalysable, c’est l’impression première, individuelle et libre, qui s’affranchit des influences d’origine et de milieu, qui s’isole de tout et qui joue avec la matière.

Bien au fond, chez Ibsen, il y a le poète inspiré. Ce poète apparaît par instants seulement et ce qu’il nous dit alors semble renverser la raison, à force de pousser l’idée jusqu’à ses dernières limites. Puis nous nous apercevons que la raison qu’il renverse était une raison caduque. Elle n’avait plus qu’à tomber. Et l’idée, en apparence excessive et paradoxale, dont l’apparition