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PEER GYNT

l’esclave d’un cheval ou d’un cocher. Je ne suis plus chargé de bagages. En un mot, me voici, comme on dit, maître de la situation. Quel chemin vais-je prendre ? Il y en a plusieurs qui s’ouvrent devant moi. Et c’est au choix d’un chemin qu’on distingue les sages des imbéciles. — Je sais ce que je ferai ! Je tâcherai de trouver un volume de Becker, et j’entreprendrai un voyage chronologique. — Il est vrai que mon instruction pèche par la basse, et le mécanisme de l’histoire est chose compliquée. Qu’importe ! C’est en partant au hasard qu’on arrive aux résultats les plus originaux. — Et puis, ça vous élève l’âme de nous poser un but et d’y marcher avec une volonté d’acier ! (Avec émotion.) Briser tous les liens, rompre avec son pays, avec ses amis, jeter ses trésors au vent, dire adieu au doux bonheur d’aimer, tout cela pour arriver aux arcanes du vrai. (Essuyant une larme.) C’est à ce signe qu’on reconnaît le chercheur ! Je suis heureux au-delà de toute expression, car je viens de résoudre l’énigme de ma destinée. Je déserte les sentiers de la vie et m’enfonce dans le passé. À moi les faits et les êtres anciens ! Le présent ne vaut pas un liard. Les hommes sont sans moelle et sans foi. Leurs actes sont veules et leur esprit rampant. Quant aux femmes (haussant les épaules), c’est une bien pauvre engeance. (Il s’en va.)