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ACTE IV



(Même décor. Une heure plus tard.)

(Peer Gynt, avec des mouvements calmes et réfléchis se dépouille pièce à pièce, de ses habits orientaux. Cela fait, il tire de sa poche une petite casquette de voyage, s’en coiffe et reparaît dans son costume européen.)

PEER GYNT (lançant loin de lui le turban qu’il a ôté)

Voilà le Turc, et me voici moi-même ! Tout ce paganisme ne me valait rien. Heureusement il ne m’a pas, comme on dit, passé dans le sang. Aussi qu’allais-je chercher dans cette galère ? Comme si l’on ne se trouvait pas mieux de vivre en chrétien, de dédaigner les plumes de paon, de ne jamais perdre de vue la loi et la morale, d’être soi-même, enfin, et de mériter, après sa mort, un discours sur sa tombe et des couronnes sur son cercueil. (Il fait quelques pas.) La drôlesse ! Il s’en est fallu de peu qu’elle ne m’eût tourné la tête. Du diable si je sais ce qui me grisait en elle. Heureusement la farce est jouée. Un instant de plus, et j’étais ridicule. J’ai erré, c’est vrai, mais ce qui me calme, c’est que mon erreur tenait à ma situation, et non à ma personne même. C’était un résultat de la vie de prophète, une vie nauséabonde, sans action, sans sel et sans goût. Mauvais métier que celui de prophète ! — Je suis volé, oui, sans doute. Cependant il me reste quelque épargne, un peu d’argent de poche, un dépôt en Amérique. Enfin je ne suis pas sur la paille. Et cette médiocrité est peut-être ce qu’il y a de mieux. Je ne suis plus