Page:Ibsen - Les Soutiens de la société, L’Union des jeunes, trad. Bertrand et Nevers, 1902.djvu/86

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
74
THÉATRE

BERNICK. — Que je sacrifie volontairement mon bonheur domestique et ma situation sociale !

LONA. — Enfin, quel droit as-tu à ton bonheur ?

BERNICK. — Depuis quinze ans je me suis, chaque jour, acquis un peu de ce droit par la correction de ma vie, par tout ce que j’ai fait, tout ce que j’ai accompli.

LONA. — Tu as fait beaucoup pour toi et beaucoup pour les autres. Tu es l’homme le plus riche et le plus influent de la ville. Tout le monde s’incline devant toi parce que ta réputation est sans tache. Ta maison passe pour une maison modèle ; ta vie pour une vie modèle ; mais cette bonne réputation repose sur un terrain fangeux, et un moment peut venir, un mot peut être dit qui te plongerait dans la boue parce que tu n’auras pas eu la précaution de te mettre à temps en sûreté.

BERNICK. — Où veux-tu en venir ?

LONA. — Je veux t’aider, Richard, à raffermir le terrain sous tes pieds.

BERNICK. — Non, tu veux te venger. Je l’avais pressenti. Mais tu n’y réussiras pas. Il n’y a qu’une personne ici qui ait le droit de parler, et celle-là se taira.

LONA. — Johann ?

BERNICK. — Oui, Johann ! Si d’autres m’accusent, je nierai et lui-même me défendra à la vie et à la mort… Cela ne te portera pas bonheur, je te le jure. Celui-là seul qui pourrait me perdre veut se taire et va repartir.