Page:Ibsen - Les Soutiens de la société, L’Union des jeunes, trad. Bertrand et Nevers, 1902.djvu/72

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
60
THÉATRE

JOHANN. — Richard, je dois te faire un aveu dont je rougis encore.

BERNICK. — Tu ne lui as pas dit comment cela s’était passé ?

JOHANN. — Si, je le lui ai dit. C’est mal de ma part, mais je n’ai pu faire autrement. Tu ne t’imagines pas ce que Lona a été pour moi… Tu n’as jamais pu la souffrir… Pour moi elle a été une vraie mère. Dans les premières années, où nous étions si pauvres là-bas, comme elle a travaillé pour moi ! Et les longs mois où j’étais malade et ne gagnais rien ! Ce fut alors qu’elle partit, je ne pus l’en empêcher, et s’en alla chanter et déclamer dans les cafés. Après cela, elle a publié un livre dont elle a, par la suite, bien ri et bien pleuré. Elle a tout fait pour me sauver. Pouvais-je, moi, la laisser souffrir de cet affreux mal du pays ? Elle qui m’avait tant sacrifié, qui avait tant souffert pour moi ! Non, c’était impossible, Richard. C’est alors que je lui dis : « Pars, Lona, ne t’occupe pas de moi. Je ne suis pas si étourdi que tu penses ; » et je lui ai tout raconté.

BERNICK. — Comment a-t-elle pris cela ?

JOHANN. — Elle m’a répondu, à juste raison, que si j’étais innocent, il n’y avait pas d’obstacle à ce que je fisse avec elle un petit voyage au pays… Du reste, n’aie aucune crainte. Lona est discrète ; quant à moi, je saurai tenir ma langue.

BERNICK. — Oui, oui, j’en suis convaincu.

JOHANN. — Voici ma main et n’en parlons plus. C’est, heureusement, la seule sottise dont nous nous soyons rendus coupables… Je veux jouir en paix du bonheur que me réservent les quelques jours que j’ai encore à