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LES SOUTIENS DE LA SOCIÉTÉ

N’étais-tu pas mon ami ? J’étais si fier de cette amitié ; je vivais ici, pauvre hère abandonné, seul dès que ma journée de travail était finie, lorsque tu arrivas, toi, si élégant, si distingué, de ton grand voyage à l’étranger. Tu avais vécu à Paris ; tu avais vécu à Londres ! Cependant ce fut moi que tu choisis pour camarade, malgré que je sois de quatre ans plus jeune. A vrai dire, c’était un peu parce que tu faisais la cour à Betty, j’en conviens à présent. Mais comme cela me rendait fier ! Qui ne l’eût pas été ? Qui ne se serait sacrifié volontiers pour toi ? Surtout lorsqu’il ne s’agissait que de braver quelques semaines de cancans et lorsque s’offrait l’occasion pour moi de partir au loin !…

BERNICK. — Mon cher Johann, je dois te l’avouer franchement, cette histoire n’est pas encore tout à fait oubliée.

JOHANN. — Non ? Que m’importe, puisque je dois repartir et m’installer à jamais dans ma ferme ?

BERNICK. — Ainsi, tu vas repartir ?

JOHANN. — Naturellement.

BERNICK. — Pas encore, j’espère ?

JOHANN. — Dès que je le pourrai. Je ne suis venu que pour faire plaisir à Lona.

BERNICK. — Vraiment ?… En quoi ?…

JOHANN. — Oui ; vois-tu, Lona n’est plus jeune, et dans ces derniers temps elle a beaucoup souffert du mal du pays. Elle ne voulait pas l’avouer. (Souriant.) Comment aurait-elle pu me laisser seul, moi, le gamin qui, à dix-neuf ans, m’étais permis…

BERNICK. — Et alors ?