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THÉATRE

AUNE. — Je suis aussi partisan du progrès, monsieur le consul.

BERNICK. — Oui, pour votre cercle étroit, pour la classe des travailleurs… Oh ! je connais ses menées ; vous faites des discours, vous excitez les uns, vous ameutez les autres ; mais dès qu’il s’agit d’un progrès palpable, tangible, comme celui que les nouvelles machines réalisent, alors, immédiatement, vous refusez votre concours et vous vous inquiétez.

AUNE. — C’est vrai, je m’inquiète, monsieur le consul ; je m’inquiète pour tous ces ouvriers auxquels les nouvelles machines enlèvent le pain de la bouche. Vous parlez souvent des égards que l’on doit avoir pour la société ; moi, je pense que la société a aussi des devoirs. Et comment la science et le capital peuvent-ils songer à faire appliquer leurs inventions avant qu’il n’ait grandi une génération qui en connaisse le mécanisme ?

BERNICK. — Vous lisez et vous réfléchissez trop, Aune ; vous n’en tirez aucun profit et cela vous irrite contre votre situation.

AUNE. — Ce n’est pas cela, monsieur le consul. Mais je ne puis voir tranquillement ces inventions qui, l’une après l’autre, enlèvent à nos pauvres ouvriers tous leurs moyens d’existence.

BERNICK. — Hum !… Quand on a découvert l’imprimerie, bien des copistes sont restés sans pain.

AUNE. — Vous seriez-vous réjoui de cette découverte si vous même aviez été copiste, monsieur le consul ?

BERNICK. — Je ne vous ai pas fait appeler pour discuter avec vous ; mais seulement pour vous dire que l’Indian Girl doit être prête à prendre la mer après-demain.