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THÉATRE

tion demeure incomplète, finissent par se conduire tout autrement qu’ils ne peuvent et ne sentent. Stensgard en est un exemple.

bratsberg. — Oui, Stensgard. Qu’est-ce que vous en dites ?

fieldbo. — C’est un être fait de pièces et de morceaux. Je le connais depuis son enfance. Son père était un homme de rien. Il avait une petite boutique de brocanteur et en outre, quand l’occasion s’en présentait, il prêtait à la petite semaine ou plutôt c’était sa femme qui faisait ce métier. Une vraie mégère celle-ci, n’ayant de femme que le nom, tenant son mari en tutelle, et grossière, et vulgaire plus qu’on ne saurait se l’imaginer. C’est dans ce milieu qu’a grandi Stensgard. Il allait en même temps au collège. « Il faut qu’il étudie, disait sa mère, nous en ferons un bon comptable. » Il avait de mauvais exemples sous les yeux chez lui, mais à l’école il donnait beaucoup d’espérance. On lui reconnaissait de sincères aspirations vers le beau, de l’imagination, du caractère et de la volonté ; mais d’un autre côté aucun esprit de suite. A quoi cela pouvait-il le mener, sinon à un éparpillement de sa personnalité ?

bratsberg. — Je ne sais pas ce qui pouvait en résulter. Mais je voudrais bien savoir où le bien existe pour vous. De Stensgard on ne pouvait rien attendre, de mon fils non plus. Mais de vous naturellement, de vous…

fieldbo. — Oui, de moi, précisément. Ne souriez pas. Je ne suis pas plus prétentieux qu’il ne faut. Mais j’ai ce qui donne l’équilibre, ce qui rend sûr de soi. J’ai été élevé dans le calme et l’harmonie d’une honnête famille de la classe moyenne. Ma mère est une femme dans toute