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L’UNION DES JEUNES

simple manant, mais je sens si bien que ce sera pour son bonheur à elle. Et toi, Fieldbo, qu’as-tu ? Tu m’as tout l’air de tramer quelque chose

fieldbo. — Moi ?

stensgard. — Oui, toi. Tu manœuvres en dessous contre moi. Pourquoi ? Sois honnête !… Veux-tu ?

fieldbo. — Ma foi, non, sincèrement. Je ne veux pas être honnête avec toi, tu as trop peu d’égard pour les autres ; tu fais trop étourdiment usage des secrets que tu surprends. Aussi vrai que je suis ton ami, je te conseille sérieusement de renoncer à Mademoiselle Bratsberg.

stensgard. — Je ne le puis pas. Il faut que je sorte de la situation fausse où je suis. Il m’est trop pénible de me promener bras dessus, bras dessous avec Pierre et Paul, de rire à leur sottes plaisanteries, de fréquenter un tas d’étudiants qui me tutoient. L’amour puissant que je porte au peuple ne peut éclore dans cette atmosphère. Je ne saurais plus trouver de ces phrases qui enlèvent les masses. Je manque d’air libre. Il y a des moments où je désire la société des femmes distinguées, et où j’aspire après la beauté ; je suis ici comme renfermé dans une baie sombre au dehors de laquelle je vois passer les ilots bleus, ensoleillés, mais es-tu capable de comprendre ces choses-là, toi ?