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THÉATRE

premier acte surtout, où ils sont faits pour animer une action un peu lente à se dérouler. Mais qu’on se persuade bien qu’il ne s’agit ni d’un grotesque fantoche, ni d’un hypocrite. « Vous êtes un grand enfant, » dit Mme Alving en jetant ses bras autour du cou de Manders, qui se recule scandalisé et troublé à la fois. Qu’on se souvienne de ce trait. C’est là tout le personnage.

Le Tartuffe de la pièce, Tartuffe ignoble et grossier, c’est le menuisier Engstrand. C’est une figure sinistre que celle de ce cagot à l’enveloppe rugueuse, à la nature inculte et compliquée comme le chaos originel, avec des abîmes d’hypocrisie dans les ténèbres de son âme et des ressources instinctives de brute dans sa lutte pour l’idéal d’existence que lui présente sa grossière et vicieuse imagination. D’ailleurs, nul scrupule dans cette conscience sur laquelle les enseignements d’hommes comme le pasteur Manders n’ont pu, bien entendu, avoir aucune action. Ah ! la belle proie pour les instincts violents et cupides de cet homme de la nature que la naïveté du grand enfant qui représente toute une classe mal préparée pour la lutte morale, tout comme Engstrand personnifie les fruits de son activité : le triomphe final des ténèbres, où un faible rayon, tombant à faux, ne fait naître qu’un sentiment, le premier, hélas ! qui signale souvent dans l’enfant comme dans le sauvage le réveil de l’intelligence : l’astuce !

Régine est une chrysalide d’où va naître un papillon de nuit. Elle est la chair, la chair ferme et palpitante qui grise et achève Oswald, ce malheureux être débilité chez qui les instincts et les sentiments délicats ne se sont épanouis que pour mourir d’un coup au contact de la vie, en sorte qu’il ne reste plus à la mère