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THÉATRE

dussent-ils paraître funestes et même meurtriers : tout vaut mieux que l’état de mensonge auquel l’inertie et la pusillanimité réduisent l’être humain.

Certes, ce sont là des accents qui peuvent éveiller quelques alarmes, si l’on considère qu’il n’y a pas de révolution plus dangereuse que celle qui se met à germer en secret au fond des consciences et qui, un jour, par l’effet de sa logique intrinsèque, aboutit à une explosion sociale. La parole d’Ibsen ne porte-t-elle pas en elle une de ces dangereuses semences ? Encore une fois, il ne m’appartient pas de discuter ici cette question qui, d’ailleurs, devrait être généralisée et embrasser toute une doctrine philosophique dont le dramaturge norvégien n’est que l’interprète sur la scène. Je me bornerai à affirmer que ce danger, si c’en est un, n’existe pas en Scandinavie. La passion spéculative y règne sans doute plus encore qu’en Allemagne, mais cette passion, qui a parfois conduit les Allemands à des mouvements politiques et sociaux, n’a jamais eu cet effet sur les populations suédoises et norvégiennes. Elle a pénétré dans le peuple sous forme de doctrines religieuses et morales, donnant naissance à des sectes ou créant simplement une nouvelle disposition d’âmes, comme le piétisme pur. Les classes supérieures s’abandonnent aux charmes plus raffinés du mysticisme philosophique qui, sous des apparences diverses, Swedenborgisme, Spiritisme et même Kantisme et Hartmanisme, parle aux esprits et pénètre jusqu’aux cœurs, grâce à un idéal de charité que ces enseignements portent en eux et que le Scandinave sait en extraire. Chez lui, c’est par l’intelligence qu’on arrive généralement au sentiment et réciproquement. La vibration est d’autant plus vive qu’on a