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NOTICE SUR LES REVENANTS

Bridaine. On retenait son souffle, on n’applaudissait pas, et, pendant les entr’actes, c’étaient des observations, des réflexions à voix étouffée, qui se pressaient, sans se changer en discussion ; des énergies abattues, des préoccupations soucieuses se lisant sur les fronts et, par-dessus tout, un intérêt, une curiosité tendue jusqu’à la fièvre et comblant la salle toutes les fois que la pièce reparaissait sur l’affiche.

Je me hâte d’ajouter que cette impression n’était due qu’en partie au côté naturaliste de l’œuvre, à ce qu’a de saisissant le spectacle du fléau fatal sur la scène. Sans nier qu’un piment de ce genre soit fait pour troubler les esprits et attirer la curiosité inquiète de la foule, il ne faut pas exagérer la portée de la scène finale, de ce tableau dont l’exactitude scientifique a été contestée par les uns, admirée par les autres, mais dont on ne peut méconnaître la sombre poésie et la grandeur tragique, qui fait songer aux scènes terrifiantes d’Œdipe Roi. Non ! on peut affirmer que, même sans ce clou, l’effet aurait été produit. Il me suffira de constater à ce sujet que cette scène ne vient qu’à la fin et que j’ai vu le public scandinave captivé dès le premier acte, dès l’exposé de la situation dramatique et de la donnée morale sur laquelle elle repose. En Allemagne, c’est même là la partie de l’œuvre qui a eu le succès le plus incontestable. C’est que c’est un terrible remueur de consciences qu’Henrik Ibsen. C’est là qu’il place sa force et de cela qu’il se fait un attrait. Car il les remue à sa manière. Les voix qu’il éveille sont celles des revendications individuelles, de l’affirmation de sa personnalité, de la contemption superbe des lâchetés et des capitulations. Et cela quand même, sans crainte des résultats,