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THÉATRE

pour lui une vie morale plus libre et plus délicate et il n’est pas étonnant qu’avec de telles idées il ait tenu à y faire admettre son fils. Il est loin d’ailleurs de toute partialité aveugle et, dans les Revenants, il va jusqu’à mettre à jour les places les plus secrètes qui flétrissent cette classe de la société.

Le dramaturge est-il dans le vrai en faisant remonter l’origine du mal jusqu’à cette compression morale dont je viens de parler ? Ce n’est pas ici le lieu de discuter sa thèse. Elle a beaucoup occupé les esprits. On s’est demandé en outre à quelle tare Ibsen faisait allusion en présentant Oswald Alving comme la victime expiatoire des vices de son père et en personnifiant en lui, avec cette nuance de symbolisme qui lui est propre, le génie atrophié dès son origine par les conditions que lui font la nature et la société. Plus d’un a songé à ce mal sinistre qui sévit dans les pays scandinaves avec plus d’intensité qu’ailleurs et qui, à travers de sombres métamorphoses, imprime à des générations entières le stigmate dont la fatalité peut marquer un individu à la faveur d’un seul instant d’entraînement. D’autres, avec plus de raison, je crois, ont pensé qu’il s’agissait là des résultats héréditaires d’une débilitation physique allant de pair avec une dissolution morale. Quoi qu’il en soit, attaquer de tels sujets n’était pas fait pour effrayer Ibsen et les dispositions du public dans son pays ne pouvaient lui faire craindre là une pierre d’achoppement pour le succès de la pièce. Quelle qu’ait été l’interprétation de ce point délicat, elle n’a eu pour effet que d’accroître encore le sentiment de terreur sourde que j’ai vu répandu dans le public pendant les représentations des Revenants. On aurait dit un sermon du père