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ROSMERSHOLM

kroll. — Quoi, mon bon ami ! toi aussi tu t’étais follement imaginé qu’il existait un obstacle entre nous !

rébecca, à Rosmer. — Pensez donc, ce n’était qu’une imagination ! Quel bonheur, n’est-ce pas ?

rosmer. — Vraiment, Kroll ? Mais alors, pourquoi t’es-tu éloigné de nous ?

kroll, d’une voix sérieuse et contenue. — Parce que je ne voulais pas être pour toi le souvenir vivant d’un temps malheureux, et de celle qui a trouvé sa fin dans le torrent du moulin.

rosmer. — C’est là une noble pensée. Tu es toujours plein de délicatesse. Mais tu n’aurais pas eu besoin de te tenir à l’écart. Viens asseyons-nous sur le sofa. (Ils s’asseyent.) Non, je n’éprouve aucun tourment en pensant à Félicie. Nous parlons d’elle tous les jours. Il nous semble qu’elle n’a pas quitté cette maison.

kroll. — Vraiment, il vous semble…

rébecca, allumant la lampe. — Sans aucun doute.

rosmer. — C’est bien naturel. Elle nous était si chère à tous les deux. Et Rébec…, mademoiselle West et moi, nous avons la conscience d’avoir fait tout ce qui était en notre pouvoir pour la pauvre malade. Nous n’avons rien à nous reprocher. Voilà pourquoi il me semble doux de penser maintenant à Félicie.