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cette première vocation). Mais, de tous ces décors, aucun n’a plus de charme que celui de Rosmersholm, avec sa vieille maison de bois, son allée d’arbres séculaires, son salon meublé à l’ancienne mode, au poêle orné de branches de bouleau et de fleurs des champs. La simple et gracieuse mélancolie de ce milieu tout norvégien s’harmonise avec le caractère du pasteur Rosmer, figure singulièrement poétique et captivante, bien faite pour développer dans un cœur de femme passionnée le sensualisme mystique propre à quelques natures du nord et si énervant dans ses effets.

Comme le fanatisme, la fausseté, la mesquinerie des partis politiques personnifiés dans Kroll et dans Mortensgaard détonnent dans un tel milieu ! Il n’y a pas une de nos petitesses et de nos lâchetés auxquelles la noblesse de Rosmer ne fasse honte. Pourquoi faut-il, hélas ! que cet homme, affaibli par sa conscience timorée, par ce sentiment de culpabilité qui est le propre de notre foi, ne soit pas capable de lutter contre la bassesse envahissante ?…

Il y a dans Rosmersholm une guerre de principes et un combat de passions admirablement combinées. Les personnages, pour être symboliques, n’en sont pas moins vrais jusque dans les moindres détails. Il y a là un phénomène propre au génie scandinave. Mais il ne s’était jamais produit avec autant d’éclat que chez Ibsen. C’est à croire que, pour lui, les tendances de l’âme, les forces de la nature, les lois du monde moral sont réellement représentées par les individus qu’on voit vivre et agir. Il ne s’agit que d’observer pour apercevoir d’éternelles vérités sous de fugitives apparences. Plus l’observation est minutieuse, plus le symbole se montre clair et vivant.