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détache Rosmer de la foi qu’il enseigne, que représente-t-elle, à proprement parler ?

Elle vient de l’extrême nord, de cette région mystérieuse où les caractères et les passions ont quelque chose de primitif qui trouble et qui étonne. Étrange population que ces hyperboréens d’Islande, de Norvège, de Suède et de Finlande ! En bas, tout vestige de paganisme n’a pas encore disparu. En haut, dans le petit noyau civilisé, composé d’employés, de commerçants, de médecins, règne une inquiétude d’esprit plus favorable aux idées révolutionnaires les plus avancées qu’aux doux enseignements de l’Évangile. Les tempéraments, dans ces parages glacés, sont souvent aussi vifs, les humeurs aussi capricieuses que sous le ciel sicilien, et le couteau y joue trop fréquemment le même rôle. Mais les volontés y sont plus âpres et les imaginations plus libres, plus avides, plus assoiffées d’inconnu, plus disposées à acceuillir les enseignements nouveaux. Se souvenant de quelque fille du lointain Finmark, Ibsen a symbolisé en elle l’action de ce ferment caché au fond des âmes, que les civilisations n’étouffent pas, qui renverse leurs œuvres et émancipe l’esprit des formes qui l’emprisonnent. C’est parce que Rébecca West est une force de la nature que nous lui pardonnons, que nous l’aimons même et que nous sommes tout près de la plaindre quand elle parle de l’impuissance à laquelle Rosmersholm l’a réduite.

N’importe ! Pour le cœur comme pour le goût, ce milieu dissolvant est rempli de séduction. L’œuvre d’Ibsen est plein de paysages et d’intérieurs dessinés de main de maître. (Dans sa jeunesse, il avait voulu, se faire peintre et, sans cesse, on voit percer chez lui