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milieu d’un repos tardif, dont il semble jouir avec bonheur. Et ils ne sont pas le résultat d’un parti pris. « Ma pensée est amère quand elle n’est pas triste. » Cette confidence d’un silencieux ne saurait être suspecte.

Quel est, en ce cas, le stimulant qui anime cet esprit si vif, dont la verve éclate au milieu de ses productions les plus chagrines ? C’est le bonheur de travailler, de faire vivre ces figures qui nous captivent dans son œuvre et abondent dans le Canard sauvage. Chacune d’elle est le résultat d’une étude minutieuse. Lorsque, après la période d’observation, le moment d’écrire arrive, le moule est prêt et, au bout de très peu de temps, l’œuvre apparaît vivante, ordonnée dans toutes ses parties. Mais alors commence une espèce d’expérimentation. Pour me servir d’une expression d’Ibsen, il veut faire la connaissance de son monde, voir ses personnages de face, de profil et de dos. Ce qui veut dire, comme on nous l’apprend, qu’il refait parfois un drame entier, non pour le changer, non pour compléter une simple ébauche, mais pour mieux étudier un caractère, en le plaçant dans telle ou telle autre condition. Il modifie d’après cela un trait, une allure, un mouvement qui ne lui convient pas entièrement.

On comprend que cet artiste, dont la figure semble empruntée aux âges austères des maîtres primitifs, conserve, malgré ses désillusions et ses désespérances, les biens inappréciables que nous leur envions : la foi en lui-même et la sincérité. « Je n’ai qu’une prétention, a-t-il dit un jour, c’est de présenter au public, dans chacune de mes pièces, un fragment de la réalité. » Une autre fois, comme on l’interrogeait sur les