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rien sur l’inertie des masses grossières, et qu’il valait mieux, pour ne pas attirer des désastres, les laisser à leur fange, accrochées aux varechs pour ne pas voir le monde tel qu’il est ! Il faut que l’amertume ait été grande pour que le poète ait revêtu du masque ridicule de Grégoire un personnage qui, dans ce drame, joue le rôle revendiqué jadis par lui, Ibsen, et que, peut-être, il ambitionne encore de temps en temps. Et cependant ce même bon sens s’est refusé à généraliser sa conclusion pessimiste. L’action se déroule dans un milieu tout spécialement marqué au coin de la vulgarité, une vulgarité choquante chez Gina, la femme de Hialmar, déguisée sous des dehors pompeux chez son piètre mari, déclamateur grotesque quand il n’est pas odieux, nullité dès l’enfance, surfaite par tous. On comprend qu’un type comme celui-là ait paru haïssable à l’artiste laborieux et sincère qu’est Ibsen. Ce profanateur de l’art, — ce n’est pas pour rien que l’auteur l’a fait photographe, — est presque aussi rudement stigmatisé que les profanateurs de la vérité, le vieux Werlé et sa femme de ménage, qui vont fonder une véritable union conjugale sur l’aveu réciproque de leurs vices et de leurs méfaits, parodiant le noble principe affirmé dans « Maison de Poupée ».

Non ! on ne convertit pas les hommes de nos jours. On se réfugie dans l’isolement comme le Stockman d’Un ennemi du Peuple, on est honteusement battu comme le Grégoire du Canard sauvage, ou bien on cherche le triomphe au fond du torrent comme Rosmer. Ces trois drames se sont succédé. Chacun d’eux est un pas de plus vers le pessimisme et le découragement. Il est singulier que le poète les ait écrits au cours d’une vieillesse calme, honorée, au