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gina. — C’est bien, c’est bien, je ne dis pas non. Je ne vais pas tripoter dans tout ça, maintenant. Tu es devenu un si bon homme, si tôt que tu as eu une maison et de la famille. C’était si gentil et si tranquille chez nous, à cette heure. Et puis voilà qu’Hedwige et moi, nous aurions bientôt pu nous payer un peu d’habits et de bonnes choses.

hialmar. — Embourbées dans le mensonge, oui !

gina. — Oh, faut-il que cet affreux individu ait fourré son nez ici !

hialmar. — Et moi aussi, je me trouvais bien à mon foyer… Ce n’était qu’une illusion… D’où me viendra maintenant l’essor qu’il me faut pour transporter ma découverte dans le monde des réalités ? Peut être mourra-t-elle avec moi, et, dans ce cas, ce sera ton passé, Gina, qui l’aura tuée.

gina, prête à pleurer. — Ne dis donc pas ça, Ekdal, moi, qui toute ma vie n’ai voulu que ton bien !

hialmar. — Oui, je le demande : qu’adviendra-t-il maintenant du rêve conçu par le père de famille ? Quand j’étais là, étendu sur mon sofa, songeant à la découverte, j’avais bien le pressentiment qu’elle absorberait mes dernières forces. Je sentais que le jour où le brevet d’invention me serait remis serait aussi le jour des adieux. Et mon rêve était que tu vives après moi, dans l’aisance, qu’on honore en toi la veuve de l’inventeur défunt.