Page:Ibsen - Le Canard sauvage, Rosmersholm, trad. Prozor, 1893.djvu/13

Cette page a été validée par deux contributeurs.

parmi les réalités qui défilent devant l’observateur ou s’éveillent dans sa mémoire. C’est ainsi qu’il rend dramatique et vivant ce monde d’images qui se presse dans son cerveau, si tôt qu’il se met à réfléchir et à raisonner, comme l’atteste toute son œuvre poétique.

Prenons le Canard sauvage : Ibsen, après avoir demandé dans ses drames précédents que la vérité serve de base à toutes les relations humaines, paraît tout à coup saisi de désabusement et s’écrie : « Mais non ! laissons l’illusion aux âmes faibles ; elles sont incapables de supporter la lumière. L’illusion seule les rend heureuses. » Aussitôt l’illusion se présente à lui pareille à ce grenier, où, tout enfant, au dire d’un de ses biographes, il s’enfermait durant des heures, soit pour feuilleter de vieux livres illustrés, soit pour animer d’une vie fantastique un vaste encombrement d’objets hors d’usage, au milieu desquels sautaient les lapins, gloussaient les poules, tandis qu’un canard caquetait dans son baquet. Ce canard, dans la pièce, joue un rôle étrange. Il est là, vivant : les personnages le voient de la scène. « Ce n’est pas un canard ordinaire, c’est un canard sauvage, » dit à l’utopiste Grégoire, le vieil Ekdal, ce malheureux dont la faiblesse d’esprit a jadis été exploitée par un misérable et qui a perdu en prison le peu d’intelligence qu’il possédait. Et la fable ingénieuse du canard blessé qui plonge jusqu’à la vase, y pique son bec, se retient aux varechs et ne reparaît plus jamais à la surface, à moins qu’un chien habile ne l’y ramène, se déroule sous la forme d’un simple radotage placé dans la bouche de ce vieux chasseur tombé en enfance. — La physionomie de ce bonhomme est une des plus vraies, des plus pittoresques de tout le théâtre d’Ibsen. Il