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treinte à une discipline sévère à laquelle nous devons la puissance et la solidité de tout ce qu’elle produit. Ni son esprit hardi, ni son audacieuse imagination n’ont jamais entraîné ce poète dans les parages dangereux où le jugement perd pied, où se perd la déclamation. Ceci est un trait de race qui l’empêchera toujours d’être dénationalisé : le Scandinave a peur de sa propre voix quand il l’entend sonner creux.

Ibsen aurait pu peupler la scène d’abstractions et il faut lui être reconnaissant d’avoir évité cet écueil, d’autant plus que ces abstractions même auraient pu être séduisantes : témoins ses petits apologues dont le sens profond nous révèle parfois toute une conception du monde contenue dans une trentaine de vers. Mais, dès que le dramaturge s’éveille en lui, bride sa fantaisie et s’en rend maître. Durant des mois, regardant et réfléchissant, il promène dans le monde l’idée du nouveau problème moral qu’il portera sur la scène.

Ce problème s’est posé devant lui depuis longtemps. Il s’agit maintenant de le présenter au public de la façon dont les problèmes moraux se présentent dans la vie réelle. Et, s’arrachant au rêve comme à la spéculation, Ibsen se tourne vers la réalité, pour lui emprunter ses formes et ses couleurs. Il va, dit-on, jusqu’à lire assidûment la quatrième page des journaux de son pays, pour bien se représenter l’image de cette existence quotidienne dans laquelle il placera l’action de sa pièce. Il demande à ses impressions, à ses souvenirs, des faits, des physionomies, des milieux, les réunit, les examine, en fait l’objet de longues réflexions.

Il va sans dire qu’une pensée maîtresse dirige ce travail expérimental et choisit ce qui lui convient