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quand il allait être mis en prison, il a saisi son pistolet.

grégoire. — Il voulait ?…

hialmar. — Oui. Mais il n’a pas eu le courage. Il a été lâche. Déjà son âme était affaiblie, égarée. Oh ! comprends-tu cela ? Lui, un militaire, un homme qui avait tué neuf ours et qui descendait de deux lieutenants-colonels, oui, l’un après l’autre, naturellement, comprends-tu cela, Grégoire ?

grégoire. — Je le comprends très bien.

hialmar. — Pas moi. Et de nouveau, le pistolet intervint dans l’histoire de notre famille : quand on l’a vêtu de gris, qu’on l’a mis au verrou, oh ! quelle époque épouvantable pour moi !… Les stores de mes deux fenêtres étaient baissés. En regardant dehors, je voyais le soleil briller comme d’habitude. Je ne comprenais plus rien. Je voyais les gens dans la rue rire et causer de choses indifférentes. Je ne comprenais plus rien. Il me semblait que tout ce qui existe aurait dû s’arrêter, comme pendant une éclipse.

grégoire. — Quand ma mère est morte, j’ai éprouvé le même sentiment.

hialmar. — À ce moment-là, Hialmar Ekdal a appuyé sur sa poitrine le canon de son pistolet.

grégoire. — Toi aussi, tu voulais… !

hialmar. — Oui.

grégoire. — Mais tu n’as pas tiré.