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O'IBN KHAF.DOUN. 351

qui possède cette faculté voulait s'écarter de la manière de compo- ser les phrases et des tournures qui sont propres à la langue arabe, il ne le pourrait pas; sa langue ne s'y prêterait pas, parce qu'elle n'y serait pas accoutumée, et que ce n'est pas à cela que le conduit cette faculté qui s'est enracinée chez lui. Si , en parlant à cet homme , on emploie d'autres tournures et formes que celles dont les Arabes se servaient, et qu'on s'éloigne de leur manière nette et précise d'é- noncer leurs pensées, il repousse ces innovations et les rejette, parce qu'il sent que cela n'est pas conforme au style idiomatique des Arabes, peuple dont il a étudié la langue avec tant d'assiduité. II ne saurait pas en rendre raison, comme peuvent le faire ceux qui ont étudié les règles de la grammaire et de la rhétorique; pour eux c'est une affaire de déduction systématique, fondée sur des règles qui ont été établies par l'examen successif d'une foule d'exemples; tandis que, chez l'homme dont nous parlons, c'est une affaire de fait qui provient d'un exercice assidu du langage des Arabes, exercice par l'effet duquel il est devenu comme l'un d'entre eux. Expliquons ceci par un exemple. Supposons qu'un enfant arabe soit né et ait été élevé parmi les gens de sa nation : il apprendra leur langue et se formera à l'observation de tout ce qui constitue la syntaxe désinentielle et l'art de bien parler, en sorte qu'il en viendra à posséder parfaitement la langue arabe; mais ce ne sera point par la connaissance de la théorie et des règles; ce sera uniquement parce que, chez lui, la langue et les or- ganes de la parole auront contracté l'usage de cette faculté. Eh bien , celui qui viendra après la génération (dont cet enfant faisait partie) obtiendra le même résultat, en retenant par cœur leurs paroles, leurs poésies et leurs discours oratoires, et en persistant dans cet exercice jusqu'à ce qu'il parvienne à s'approprier cette faculté et qu'il devienne comme un individu né au milieu des Arabes et élevé parmi leurs l*. 3i5, tribus : or les règles sont tout à fait étrangères à cela. Quand cette faculté est bien établie chez quelqu'un, on la désigne, métaphori- quement, par le nom de goût; c'est un terme technique adopté par les rhétoriciens. Le mot goût ,àans son acception primitive, s'applique

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