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été systématiquement adoptée par ceux qui étaient dans le vrai ’, c’est-à-dire, par la totalité des premiers musulmans, par les hommes savants dans la loi, par les théologiens scolastiques, par les Soufis des temps anciens, ceux, par exemple, dont les noms sont cités dans la Biçala (d’El-Cocheïri) ^, et par tous les docteurs qui ont marché dans la même voie. Mais une fraction des Soufis modernes, celle qui a fait des perceptions recueillies par le sens interne un objet de science et d’investigation, est allée jusqu’à déclarer que le Créateur est identique (mottahed) avec ses créatures, quant à son individualité, à son existence et à ses attributs. Ils ont même dit que c’était là l’o- pinion des philosophes qui précédèrent Aristote, savoir, de Platon et de Socrate. Telle ’est la doctrine que les théologiens scolastiques ont en vue quand ils parlent, dans leurs écrits, d’une certaine opinion des Soufis qu’ils prennent à tâche de réfuter : « C’est, disent-ils, un contre-sens manifeste que de supposer la réunion de deux essences dont l’une est totalement différente de l’autre, ou dont l’une est renfermée dans l’autre, comme la partie (dans le tout). » Aussi, repoussent-ils cette doctrine. Xhinification (ittihad) dont nous parlons e.st identique avec \ établissement (de la divinité dans l’homme, c’est- à-dire l’incarnation), dogme professé par les chrétiens au sujet du Messie, et dont la bizarrerie est manifeste, parce qu’il suppose l’établissement d’un ancien dans un nouveau (c’est-à-dire d’un être éternel dans un être créé), ou \ unification de ces deux êtres. Cela est encore la même doctrine que celle des Chîïtes imamiens’ à l’égard de leurs imams.]

[Quand ib (les Soufis) parlent de V unification, ils l’entendent de

’ Littéral, lies gens de la vérité.

’ Voy. i" partie, p. 456, noie i.

’ Voy. ibid. p. io4.

  • L’idée d^ unification s’exprime en arabe par le mot taouhld, qui signifie aussi confesser l'unité de Dieu. Les Soufis adoptèrent ce terme précisément à cause de sa double

signification et parce que, -pour les profanes, il n’impliquait aucune autre idée que celle de là conviction de l’unité de Dieu. Ce fut là une supercherie qui déjà se laisse entrevoir dans les observations d’Ibn Klialdoun et qui est maintenant bien constatée. Djanié, le célèbre poêle mystique, a évidemment compris la signification que les Soufis des hauts grades assignaient au