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D'IBN KHALDOUN. 371

l'expédition, il entrait dans sa ville au milieu d'une multitude im- mense. Les habitants sortaient en masse au-devant de lui, et, l'ayant rencontré dans la plaine, l'entouraient de tous les côtés. On voyait, en tête du cortège, plusieurs balistes portées à dos (d'éléphant), • et, avec ces engins, on lançait au milieu des spectateurs une quan- tité de bourses remplies de monnaies d'or et d'argent, et cela du- rait jusqu'à ce que le sultan fût entré dans son palais. Les cour- tisans mérinidcs causaient entre eux de ces étranges récits et se disaient à voix basse que le voyageur racontait des mensonges. Un de ces jours-là, je rencontrai Farès Ibn Ouedrar, le célèbre vizir \ et l'ayant entretenu de ces histoires, je lui donnai à entendre que je partageais l'opinion publique au sujet de leur auteur. A cette obser- tion, le vizir répondit^: " Garde-toi bien de considérer comme fausses les anecdotes extraordinaires que l'on raconte au sujet d'autres na- tions; tu ne dois jamais démentir un fait pour la seule raison que i*. 329. tu n'en as pas été témoin. Si tu persistes dans cette voie, tu seras comme le fils du vizir qui avait vécu dans une prison depuis sa naissance. Je vais te raconter cette histoire : « Un vizir fut mis en " prison par l'ordre de son sultan, et y resta plusieurs années avec « son enfant. Celui-ci , étant parvenu à l'âge de raison , demanda à son « père quelles étaient les viandes qu'on leur donnait à manger. Le • père lui répondit que c'était de la chair de mouton, et il fit la des- « cription de cet animal. Mon cher père, lui dit le fils, cela doit être " semblable à un rat, n'est-ce pas.** — Ah! lui répondit son père, il 'I y a une grande différence entre un mouton et un rat. — Le même dis- n cours se répétait quand on leur servait de la chair de bœuf ou de cha- " meau. L'enfant, n'ayant jamais vu d'autres animaux dans la prison « que des rats, croyait que tous étaient de cette espèce. »

Cela arrive très-souvent aux hommes qui entendent parler de choses nouvelles; ils se laissent influencer aussi facilement par leurs préventions à l'égard des faits extraordinaires que par la manie de les

' Farès Ibn Meïmoun Ibn Ouedrar était vizir du sultan mérinide Abou Elïnan. — ' Avant le mol^3yi, insérez J,.

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