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La seconde cause qui introduit le mensonge dans les récits, c’est la confiance que l’on met dans la parole des personnes qui les ont transmis. Pour reconnaître si ces gens sont dignes de foi, il faut avoir recours à un examen analogue à celui que l’on désigne par les mots improbation et justification[1].

Une troisième cause, c’est l’ignorance du but que les acteurs dans les grands événements avaient en vue. La plupart des narrateurs, ne sachant pas dans quel but les choses qu’ils ont observées ou dont on leur a parlé ont été faites, exposent chaque événement selon la manière dont ils l’ont compris, et, se laissant égarer par leur imagination, ils tombent dans le mensonge.

La quatrième cause des erreurs , c’est la facilité de l’esprit humain à croire qu’il tient la vérité. Ce défaut est fort commun, et provient, en général, d’un excès de confiance dans les personnes qui ont transmis les renseignements.

Comme cinquième cause, nous pouvons indiquer l’ignorance des rapports qui existent entre les événements et les circonstances qui les accompagnent. Cela se remarque chez les historiens, lorsque les détails d’un récit ont subi des remaniements et des altérations. Ils racontent les événements tels qu’ils les ont compris, mais leurs renseignements ont éprouvé des modifications qui en altèrent l'exactitude.

  1. Pour remplir les fonctions de témoin, on doit être d’une intégrité bien reconnue et s’acquitter fidèlement des devoirs de la religion. Dans le cas où le cadi soupçonne la moralité de l’individu qui vient servir de témoin ou déposer en justice, il fait prendre secrètement les renseignements dont il a besoin pour éclaircir ses doutes. Si le résultat de cette espèce d’enquête est favorable, le cadi déclare que le témoin est intègre : le terme arabe est tâdîl (justificatio) ; dans le cas contraire, il refuse d’admettre le témoignage de cette personne, à laquelle il imprime ainsi une sorte de flétrissure, en arabe tedjrîh (improbatio). Ce dernier terme signifie plus exactement blesser, puis, dans le sens figuré, blesser un homme dans sa réputation. Les docteurs qui compilaient les traditions n’en acceptaient aucune comme authentique avant de s’être convaincus de la probité, de la véracité et de la piété de chacun des traditionnistes par lesquels cette tradition avait été transmise. Pour y parvenir, ils se livraient à de longues recherches. On désignait cette branche de la science religieuse par les mots tedjrîh oua tâdîl (improbatio et justificatio).