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LIII
INTRODUCTION.

ayant fait ses adieux, il s’embarque le 15 du Châban 784 (octobre 1382), et après quarante jours de navigation, il entra au port d’Alexandrie.

Un mois plus tard, il partit pour le Caire où sa réputation l’avait devancé. A peine fut-il arrivé dans cette capitale, dont la magnificence excita au plus haut degré son admiration, qu’il reçut la visite d’une foule d’étudiants qui vinrent le solliciter de leur donner des leçons, et, vaincu par leurs instances, il commença un cours de jurisprudence dans le Djamê-el-Azher. Bientôt après, il fut présenté au sultan El-Melek-ed-Daher-Bercouc qui lui assigna une pension sur les fonds de ses aumônes. Il voulut alors faire venir sa famille auprès de lui, mais le sultan de Tunis refusa son consentement dans l’espoir de ramener à sa cour un homme d’état dont il commençait à bien apprécier le mérite. Quelque temps après, Ibn-Khaldoun fut nommé professeur à la Camhïa, collége fondé par le célèbre Saladin, et, en l’an 786 (1384), il fut promu, malgré lui, à la place de grand-cadi malékite du Caire. Cédant à la volonté formelle du souverain, il consentit à remplir ce poste difficile, bien décidé à en acquitter strictement tous les devoirs, sans se laisser influencer par aucune considération mondaine. A cette époque, l’administration de la justice était entachée d’une foule d’abus qui avaient pris naissance dans l’ignorance et dans la vénalité des magistrats subordonnés. Il tacha d’y porter remède et s’attira ainsi la haine des juges dont il punissait les concussions et des hommes puissants dont il essayait d’empècher les actes tyranniques. Dans son autobiographie, il fait un triste tableau des difficultés qu’il avait à surmonter et des abus qu’il tachait d’extirper. Pendant qu’il luttait vigoureusement dans cette honorable tentative et que ses ennemis s’acharnaient à le décrier, un nouveau malheur vint le frapper : sa famille et ses enfants s’étaient enfin embarqués pour aller le rejoindre, mais leur vaisseau fut assailli par une tempête et sombra. « Ainsi, s’écria-t-il, un seul coup m’enleva à jamais richesses, bonheur et enfants. » Accablé de douleur, il chercha dans la dévotion le soulagement de ses maux, et il apprit, enfin, avec un sentiment de satisfaction, qu’on allait lui