discours, il faisait sentir les voyelles finales, sans faire de fautes et sans trahir ni effort ni affectation[1] ; il possédait aussi le talent de faire de très-beaux vers. On rapporte qu’un envoyé lui étant arrivé de la part [du khalife] Abou-Abd-Allah-el-Mamoun, portant un message fort désagréable, il y écrivit une réponse pendant qu’il se trouvait dans un état d’ivresse, et la termina par ces lignes :
Je suis la pierre qui recèle le feu ; si tu oses la frapper contre l’acier, fais-le !
Je suis le lion dont le rugissement suffit pour protéger sa tanière ; si tu es un chien, tu peux aboyer !
Je suis la mer, vaste et profonde ; si tu es un de ceux qui savent nager, viens t’y hasarder !
Revenu de son ivresse, il fit courir après l’envoyé, mais on ne put l’atteindre ; il écrivit alors une seconde lettre conçue en des termes très-soumis. El-Mamoun reçut les deux lettres, et sans vouloir faire aucune attention à la première, il répondit à la seconde d’une manière très-satisfaisante. On rapporte de Zîadet-Allah plusieurs beaux traits de modération, de bonté et de clémence. Sa mère Djeladjel ayant appris que la sœur d’Amer-Ibn-Nafê avait juré de la forcer à lui apprêter un plat de fèves en purée, aussitôt que son frère se serait rendu maître de Cairouan, profita de la prise de Cairouan par son fils pour envoyer à cette femme un plat de fèves ainsi apprêtées. Le domestique le déposa devant elle, en lui adressant ces paroles : « Ma maîtresse vous envoie ses salutations et vous fait prévenir qu’elle a préparé ce plat afin que votre serment soit accompli. » Tout effrayée de ces paroles, elle répondit : « Dis à ta maîtresse qu’ayant maintenant le pouvoir, elle peut faire ce qu’elle veut. » Quand Zîadet-Allah apprit cet incident, il dit à sa mère : « Je suis affligé de ce que tu viens de faire ; montrer de la hauteur lorsqu’on est puissant
- ↑ Ceci est une des preuves, assez nombreuses d’ailleurs, que l’usage d’employer des voyelles pour marquer les cas et désigner certaines inflexions du verbe arabe avait discontinué de très-bonne heure. L’arabe nahou, ou littéral, cessa d’être une langue vivante bientôt après les premières conquêtes des musulmans.