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approcher, ie l’entẽdoie en autre endroit : & quãd i’eſtoie la venu, elle ſembloit eſtre ſaultée autre part : & ainſi qu’elle changeoit de place, plus ſembloit deuenir melodieuſe. Or apres que i’eu longuement couru en ce trauail vain & friuole, ie me ſenty ſi foible, qu’a peine pouuoy ie ſouſtenir ce corps, tant a cauſe de la peur paſſee, & de la grande ſoif que i’auoye ſouffert, & ſouffroie encor adonc, que pour le long & ennuyeux cheminer en la chaleur aſpre du iour, qui auoit debilité ma vertu virile, ſi bien, que ie ne deſiroie autre choſe que le repos, pour rafraichir mes mẽbres tous laſſez. Ainſi eſtant eſmerueillé de ce qui m’eſtoit aduenu, & fort eſbahy de ceſte voix, mais beaucoup plus de me trouuer en region incogneue, & ſans culture, neant moins aſſez belle & plaiſante, ie me plaignoie grandemẽt d’auoir adiré la belle fontaine, que i’auoie quiſe & trouuée a ſi grand trauail de mon corps : & demouray doubteux entre des penſemens diuers, tant affoibly du grand trauail, que ie me iectay deſſus l’herbe, au pied d’vn Cheſné fort antique, lequel faiſoit vmbrage a vn pre verd. La me laiſſay tumber ſur le coſté ſeneſtre, cõme le cerf chaſſé & recreu qui repoſe ſa teſte ſur ſon eſchine, & tumbe ſur les deux genoux. Lors giſant en ceſte maniere, ie cõſideroie en moymeſme les variables mutations de fortune : & me ſouuenoit des enchantemens de Circé, & autres ſes ſemblables, penſant ſi i’eſtoye point enſorcelé. Helas, diſoy ie, comment pourray ie icy entre tant de differences d’herbes trouuer Moly la mercuriale, auec la racine noire, pour mon refuge & medecine ? Puys pẽſoie, ce n’eſt point cela : mais qu’eſt ce donc fors qu’vn delay maling de la mort par moy tant deſirée ? I’eſtoie (croiez) tant diminué de force, qu’a grand peine pouoy ie humer l’air, pour le rechauffer dedans mon eſtomach, ou eſtoit de-

mouré vn bien peu de chaleur, preſte a expirer & ſortir, pour me laiſ-
ſer tout inſenſible : car ie ne me ſentoie plus qu’a demy vif. &
ſans point de doubte a ma ſoif vehemente & inſuppor-
table ie ne trouuoie autre remede, que de prendre
les plus baſſes feuilles encores moytes de la
roſée, & les ſuccer tout doulcemẽt, ſou-
haitant la belle Hypſiphilé pour
m’enſeigner vne fontaine
ainſi qu’elle feit ia-
diz aux
Grecz. Aucunes-
fois me venoit en fan-
taſie que i’auoie eſte emmy
la foreſt mors ou picqué du ſerpent
nommé Dipſas : parquoy finablemẽt re-
noncay a ma vie ennuieuſe, l’abandõnãt a tout
ce qui luy pourroit aduenir : & fu ſi fort aliené
de ſens, que ie me prins a vaciller cõme fait
vn homme troublé, reſuant ſoubz la
couuerture de ces rameaux, ou me trouuai tant
preſſé de ſommeil, qu’il me ſembla que ie dormoie.