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parce qu’elles eſtoient toutes tendues de la blanche tapiſſerie du dieu Pan. I’eſtoie veritablement pluſieurs fois peruenu a ceſte riuiere durant ma fuyte parmy la foreſt, mais onc ne l’auoie peu aperceuoir, a cauſe que le lieu eſtoit obſcur, car lon n’y veoit le ciel qu’atrauers les poinctes des arbres : choſe qui rẽdoit ce lieu treshorrible & eſpouuẽtable a vn hõme ſeul eſgaré, & ſans moyen de paſſer oultre, car il n’y auoit pont ny plãche : auec ce l’autre coſté ſe monſtroit plus obſcur & tenebreux que celuy ou pour lors i’eſtoie, de ſorte que ce m’eſtoit grande hydeur d’ouir ſiffler & bruyre les arbres trebuchans, auec le tonnere des branches abbatues & eſclatées, entremeſlé d’vn bruict eſtonnãt & horrible, lequel retenu en l’air, & enclos atrauers ces arbres, ſembloit redoubler & murmurer vne demie heure apres le coup. Quãd ie fu eſchappé de toutes ces afflictions, & q̃ ie deſiroie gouſter de ceſte eau doulce,

ie mey les deux genoux en terre ſur le bord de la fontaine : et du creux de mes deux mains fey vn vaiſſeau que i’emply de ceſte liqueur. Mais comme ie la cuidoie approcher de ma bouche pour aſſouuir ma ſoif ardãte, i’ouy vn chãt ſi fort melodieux, qu’il excede le pouoir & le ſcauoir de le declarer : car la ſuauité de ceſte harmonie me donna beaucoup plus de delectation que le boire qui m’eſtoit apreſté, ſi bien que i’en perdy ſens, ſoif, & entendement : & comme ſi i’euſſe eſté enlourdy, l’eau que i’auoie ia puiſée, ſe reſpandit par l’entredeux de mes doigtz. tant me trouuay deſtitue de force. Or comme le poiſſon qui par la doulceur de l’apaſt, ne conſidere la fraude de l’hameſſon qu’elle couure : ie mey en arriere le beſoing naturel, & m’en allay a grand haſte apres celle voix inhumaine : a laquelle quand par raiſon ie penſoie deuoir