Page:Hypnérotomachie - éd. Martin - 1546.pdf/13

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Du ſommeil qui print a Poli-
phile, et comme il lvy sembla en dor-
mant qu’il eſtoit en un pays deſert, puis entroit en une foreſt obſcure.



P AR vn matin du moys d’Auril enuirõ l’aube du iour, ie Poliphile eſtoie en mõ lict, ſans autre cõpagnie q̃ de ma loiale garde AgrypnieAgrypnie eſt le veiller que lon fait par maladie ou fantaſie., laquelle m’auoit entretenu toute celle nuict en pluſieurs propoz, & mis peine de me conſoler : car ie luy auoie declaré l’occaſion de mes ſouſpirs. A la fin, pour tout remede, elle me cõſeilla d’oblier tous ces ennuys, & ceſſer mon deuil puis cognoiſſãt q̃ c’eſtoit l’heure que ie deuoit repoſer, print congé, & me laiſſa ſeul. Parquoy ie demouray fantaſiant, & conſumãt le reſte de la nuict a penſer aparmoy, Si l’amour n’eſt iamais egal, comme eſt il poſſible d’aimer cela qui n’aime point ? & en quele maniere peult reſiſter vne poure ame doubteuſe combatue de tant d’aſſaultz ? attendu meſmement que la guerre eſt interieure, & les ennemys familiers & domeſtiques, auec ce qu’elle eſt continuellement occupée d’opinions fort variables. Apres ce me venoit en memoire la condition miſerable des amans, leſquels pour complaire a aultruy, deſirent doulcement mourir : & pour ſatiſfaire a eulx meſmes, ſont contentz de viure a malaiſe, ne raſſaſians leur deſir affamé, ſinon d’imaginations vaines, dangereuſes, & penibles. Tant trauaillay a ce diſcours, que mes eſpritz laſſez de ce penſer friuole, repeuz d’vn plaiſir faulx & feinct, & du diuin obiect de madame Polia (la figure de laquelle eſt grauée au fondz de mõ cueur) ne cherchoient dela en auant fors que le repoz naturel, pour ne demourer plus longuemẽt entre ſi dure vie, & tãt ſuaue mort : parquoy me trouuay tout eſpriz de ſommeil, & m’endormy. O Iupiter ſouuerain dieu, appelleray ie ceſte viſiõ heureuſe, mervueilleuſe ou terrible, qui eſt tele qu’en moy n’y a partie ſi petite qui ne trẽble & arde en y penſant ? Il me ſembla (certes) que i’eſtoie en vne plaine ſpatieuſe, ſemée de fleurs & de verdure. le temps eſtoit ſerain & atrempé, le ſoleil clair, & adoulcy d’vn vent gracieux : parquoy tout y eſtoit merueilleuſement paiſible, & en ſilence : dont fu ſaiſi d’vne admiration craintiue : car ie n’y apperceuoie aucun ſigne d’habitatiõ d’hõmes, n’y meſmes repaire de beſtes : qui me feit bien haſter mes pas, regardant deca & dela. Toutefois ie ne ſceu veoir autre choſe ſinõ des feuilles & rameaux qui point ne ſe mouuoient. Mais en fin ie cheminay tant que ie me trouuay en vne foreſt grande & obſcure : & ne me puys auiſer ny ſouuenir en quele maniere ie me pouuoie eſtre forvuoié : neantmoins comment que ce ſoit, ie fu aſſailly d’vne fraieur grieve & ſoudaine, telement que mon poulx ſe print a battre oultre l’accouſtumé : & mõ viſaige a bleſmir duremẽt. Les arbres y eſtoiẽnt ſi ſerrez, & la ramée tãt eſpoiſſe, q̃ les raiz du ſoleil ne pouuoient penetrer a trauers :