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intérêt aux manœuvres des trains, aux machines qui passaient dans une vapeur rouge, à l’étincellement du soleil sur les cuivres, aux rails qui luisaient comme de minces filets d’eau, il ne songeait qu’à Marthe ; il regarda les gens entassés dans le wagon et se divertit, durant quelques secondes, de leurs mines et de leurs hardes. C’étaient, pour la plupart, des paysans et des paysannes ; l’artiste se gaudit de cette collection de nez ; il y avait des pieds de marmites, des nez à retroussis, des nez gibbeux, des pifs épatés et fendus ; il y avait des expositions de dents de toutes espèces, des blanches, des jaunes, des bleuâtres, des noires, des chicots de toutes formes, les uns débordant sur la lèvre, les autres battant en retraite dans les gencives. Il prit même un calepin et s’efforça de croquer des cous de campagnardes qui lui tournaient le dos, des cous tapissés de chairs grenues comme celles de volailles, des peaux de Caraïbes, mais il s’ennuya, remit son crayon dans sa poche et, passant la tête à la portière, regarda longuement cette ribambelle de maisons et d’arbres qui semblaient se donner la main et sauter devant ses yeux une gigantesque farandole.