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chand de vins, se demandant si elle y devait entrer. Elle était devenue plus peureuse qu’un enfant. Elle resta bien pendant dix minutes, en arrêt devant l’étalage, lisant à voix basse l’étiquette des bouteilles, regardant des fioles carrées d’eau-de-vie de Dantzick, aux pluies d’or tombées, des litres d’orgeat semblables à des huiles figées, des bouteilles de cognac et de cassis, des bocaux de cerises roses, de prunes vertes, de pêches blondes. Elle poussa enfin la porte et une odeur de vinée lui sauta à la gorge. Elle demanda au marchand un demi-litre de vin et un siphon d’eau de Seltz.

Il lui sembla que le cabaretier la regardait insolemment. Se doutait-il, lui aussi, de quel bagne elle s’était échappée ? Inquiète, honteuse, elle se réfugia dans une petite salle attenant à la boutique.

Le marchand la fit attendre un quart d’heure au moins avant que de la servir ; puis il jeta le tout sur la table et se précipita devant un homme qui cria, en poussant la porte :

— Un coup de jus, mon vieux birbe, et une croûte de brignolet !

— Tiens, vous voilà donc, Monsieur Ginginet, fit l’homme.