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qu’on soit gaie ou triste, malade ou non ; qui vous force à vous étendre près d’un affreux ivrogne, à le subir, à le contenter, vie plus effroyable que toutes les géhennes rêvées par les poëtes, que toutes les galères, que tous les pontons, car il n’existe pas d’état, si avilissant, si misérable qu’il puisse être, qui égale en abjects labeurs, en sinistres fatigues, le métier de ces malheureuses !

Les angoisses, les dégoûts de cette fille s’étaient ravivés ce soir-là. Elle gisait depuis vingt minutes, éboulée sur un amas de coussins, paraissant écouter le caquetage de ses compagnes, tremblant au moindre bruit de pas.

Elle se sentait écœurée et lasse, comme au sortir de longues crapules. Par instants, ses douleurs semblaient s’apaiser et elle regardait d’un œil ébloui les splendeurs qui l’entouraient. Ces girandoles de bougies, ces murs tendus de satin, d’un rouge mat, gaufré de fleurs en soie blanche, miroitant comme des grains d’argent, dansaient devant ses yeux et pétillaient comme de blanches étincelles sur la pourpre d’un brasier ; puis sa vue se rassérénait et elle se voyait, dans une grande glace à cadre de verre, prostrée impudemment sur une banquette, coiffée comme pour aller au bal,