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s’efforçait de la rassurer ; Colombel insinuait qu’après le dîner on pourrait aller voir le théâtre de la famille Legois, ou Delille, ou le cirque Corvi. — Un grand quart d’heure, ils restèrent cois, voyant la foule couler et braire au loin.

Désirée déclara enfin qu’elle allait partir et Auguste s’offrit à l’accompagner, mais tous affirmèrent qu’ils les reconduiraient jusqu’à la Bastille. Ils se raffermirent sur leurs jambes et descendirent le cours de Vincennes. Le brouhaha des voix, les détonations des carabines, le tintin des cloches, allaient s’affaiblissant ; il ne restait plus çà et là, échelonnés sur la route, que de misérables éventaires. Éparpillées sur les trottoirs, des infantes hors d’âge vendaient des jujubes et des nougats tunisiens, des marchandes d’oranges poussaient leurs charrettes, braillant à tue-gorge : La belle valence ! la belle valence ! Des égueulés offraient des cure-dents et des cure-oreilles, et un affreux voyou dont les yeux se fleurissaient de compères-loriots hurlait : L’anneau brisé, la sûreté des clefs, dix centimes, deux sous ! Tout cela était parfaitement indifférent à Désirée. Ce qui la touchait le plus, c’était de voir les voitures s’ébranler, bondées de monde. Au bout d’une demi-heure, Auguste parvint enfin à la hisser sur la plate-forme du tramway, et Ana-