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son doigt, le frotta sur son pantalon pour enlever la tache de jus de pipe qui le marbrait et, se laissant tomber dans un fauteuil, demeura béatement réjoui, les jambes écartées, les bras pendants.

Pierre-Séraphin Vatard s’était marié de bonne heure avec une femme, gaillarde à ses bons moments, carogne à d’autres. Somme toute, il avait eu de la chance. Eulalie était bien revêche et quinteuse, mais c’était au demeurant une fille vaillante et bête. Elle n’avait donné le jour qu’à deux enfants, Céline et Désirée. Vatard s’était contenté de créer des filles, et n’osant risquer un garçon, il avait mis une sourdine aux fringales de ses nuits. Au fond, il avait toujours été un homme circonspect et doux et il eût été un mari parfait sans une belle indifférence pour les mille tracas de la vie et une invincible paresse à les surmonter. Ce qu’il voulait, c’était une existence d’oisiveté et de paix. Il avait été heureux en ménage, cédant aux exigences de sa femme, répondant : oui, ma vieille, à tout ce qu’elle disait, et, concessions pour concessions, l’autre le dorlotait, le laissant vivre des quelques sous que lui avait laissés, après sa mort, son frère, un mégissier fabricant de schabraques du faubourg Saint-Marceau. Les seules disputes qui s’élevaient parfois n’avaient lieu que la nuit, lorsqu’ils ne dor-