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rangé, ni les serviettes jetées à la diable sur les meubles, ni les soucoupes où des cendres de cigarettes se fondaient dans le bain de pied des tasses. Une pensée soudaine le poussa dans sa chambre ; il courut à la table de nuit, chercha les pantoufles de Céline. Elles n’y étaient plus. Le doute n’était pas possible. Elle s’était enfuie. Cette insultante façon de rompre sa longe, le jeta dans une rage folle, puis une immense détresse le poigna.

Tant que Céline était restée près de lui, il s’était dit : — Mon Dieu, qu’elle est embêtante ! ah ! comme ce serait un fier débarras, si elle me lâchait ! — Maintenant qu’elle était partie, il avait l’accablement d’un homme qui se voit perdu ! La perspective de rester seul, là, dans cette chambre, ainsi qu’autrefois, l’épouvanta. Il vit surgir devant lui l’inépuisable navrement de ces soirs douloureux où l’on évoque les joies des amours défuntes ; l’angoisse mortelle de ces heures où, lassé par la tâche du jour, l’on n’a plus ni courage ni force ; où l’on dort, aveuli, dans un fauteuil, où l’on a presque honte de se coucher avant la nuit ! La solitude qu’il supportait si fièrement jadis, le fit crier de peur. Il se savait vaincu à l’avance. Il se savait, pendant des mois, obsédé par le regret, incapable de produire, et il songeait aux désolations des efforts qui ratent, aux révoltes, aux abatte-