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déplacé au hasard d’un ordre, le jeune homme eut le cœur gros. Assis devant son verre, les yeux baissés, il gardait le silence. Auguste lui donnait sur le métier de soldat des indications précises, mais peu consolantes ; à la fin de chacune de ses phrases revenaient, ainsi qu’une ritournelle obstinée, les mots de clou, de salle de police et d’ours. À l’entendre, c’était un odieux supplice pour les gens débiles, mais pour les gaillards solides, pour lui, par exemple, et il se tapait de grands coups dans la poitrine, c’était une blague et voilà tout. — Il ajouta cependant : il y avait des jours où j’étais crevé, ce n’est pas pour vous décourager que je le dis, mais parce que c’est la vérité pure. — Et comme si, malgré leur dessein de le désapeurer, ils avaient juré de lui enlever toute consolation, la femme reprenait en sourdine, disait en montrant les poignets frêles de son amoureux : il a les bras si mignons ! ça l’a toujours empêché d’apprendre un état fatigant ! Jamais il ne pourra porter son fusil !

Lui ne soufflait mot — il n’écoutait même plus. Il était hanté par cette idée fixe : il faut partir — et il se voyait déjà au régiment. Il quittait sa blouse pour la tunique aux boutons de cuivre, on lui mettait un flingot entre les doigts et là, au soleil, à la pluie, au vent, il devait s’évertuer à jongler avec ! Puis il songeait au temps du repos,