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grande femme anguleuse, aux yeux bruns comme des pépins de pomme, à la bouche barrée de formidables crocs ; mais gouapes et coquines se moquaient bien d’eux ! Le lundi, l’atelier était vide, le mardi, l’atelier était également vide, le mercredi, l’atelier commençait à se remplir et, le samedi, à se vider. À part les contre-maîtres, qui plaçaient sous sur sous, et un pauvre vieil homme qui avait tant bu, dans sa jeunesse, qu’il avait l’estomac en meringue et ne pouvait plus boire, tout le reste ne travaillait, les ouvrières que pour bâfrer des frites et s’acheter des bijoux en doublé, les ouvriers que pour s’enfourner à tirelarigot, dès l’aube, des chopines de vin blanc et laper, dès l’après-midi, des litres de vin bleu.

Tel était le personnel de la maison qui, pour les nuits de veille, se recrutait encore d’un monceau de femmes ramassées aux sorties des autres brocheurs. Ah ! La contre-maître avait fort à faire, par ces longues nuits, il fallait distribuer l’ouvrage. — Ah ! bien merci ! clâmaient les filles, rien de bon, tout ça, ce n’est pas du salé ! En voilà de la turbine ! On se casse les ongles sur ce papier-là ! — Et il fallait apaiser leur soif et leur donner à toutes du café et de l’eau-de-vie, il fallait les empêcher de se sauter aux yeux et de se gifler la figure ; il fallait inscrire l’ouvrage, pièces par pièces, les ouvrières attitrées de la maison vou-