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était fier de son amie et il trouvait glorieux d’être envié par des gens bien mis. Ils sortirent et comme il était déjà tard et que la petite voulait rentrer chez elle, vers les dix heures, ils s’en furent simplement à côté, au café d’Apollon. Ils préférèrent, au lieu de rester sur la terrasse de plain-pied avec la rue et toujours bondée de monde, descendre dans la salle du bas, plus calme, et où l’on pouvait s’asseoir sur de larges divans et causer à l’aise. À l’étage au-dessus, où conduisait un escalier en vrille habillé de vieille algérienne pour abriter des regards indiscrets les tibias des dames, on tapotait sur un piano et l’on braillait. Une vague senteur de ripaille traînait dans les salles de cette buvette. Le patron offrait aussi de jolies surprises ; il apportait avec le mazagran un petit obus en sucre, et si l’on approchait une allumette de la pointe, un petit feu d’artifice jaillissait, une pluie d’étincelles s’éparpillait sur la table, mêlant son fumet de poudre à l’arome du tabac grillant et du café chaud.

Ils réglèrent le compte à eux deux, en dépit d’Auguste qui jugeait digne de protester ; mais comme involontairement elle jeta un coup d’œil sur son pochon, il n’insista plus et, après quelques minutes de silence, il dit simplement que, lorsqu’ils seraient en ménage et quand, le dimanche, ils ne voudraient pas faire de cuisine,