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s’amusait à le voir si douillet, il se mit à rire à son tour et lui pressa la main.

L’orchestre fit claironner à nouveau ses cuivres, et un jeune homme, vêtu d’un habit à queue de pie, d’un gilet très échancré, d’une chemise ornée de petits tuyaux, d’un pantalon noir mal coupé, s’avança et, après s’être incliné, bêla doucement ce chant plaintif :

« Quand nous chanterons le temps des cerises
Et gais rossignols et merles moqueurs
Seront tous en fê-ête !
Les belles auront la folie en tête
Et les amoureux du soleil-eil au cœur !
Quand nous chanterons le temps des cerises, etc.


Ce râleur était la coqueluche des fillasses de Montrouge. Pâlot, mal construit et maigre, il semblait tout jeune, bien qu’il eût au moins trente ans d’âge. C’était un ténorino qui égouttait avec emphase l’eau saumâtre de sa voix. À la fin de chaque couplet, il se haussait sur la pointe de ses bottines, et il filait des sons prolongés, très doux, qui enthousiasmaient les femmes.

À son tour, Auguste estima que Désirée le reluquait trop, et, n’osant se risquer à lui rendre son pinçon, il la poussa comme par mégarde du coude. La petite le regarda de côté et pensa qu’il